Difficulté adaptative, prochaine étape du jeu moderne ?

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Quand on évoque les qualités qui caractérisent un bon jeu vidéo, on parle souvent des mécanismes de jeu, du level design, de la direction artistique ou encore de l’approche narrative. Pourtant, à mon sens, une difficulté savamment dosée fait office de qualité rare dans le média. En effet, dernièrement Cuphead a divisé les avis par son côté très difficile. Des patterns à apprendre par cœur, des punitions constamment infligées, on ne peut pas dire que tout le monde y a trouvé son bonheur. « Si t’es trop nul, joue en facile » disaient certains. Sympa. Entre le fait d’être « nul » et de jouer dans un mode de jeu incomplet (il manque carrément un bout du jeu en mode facile), ou se casser le nez constamment, l’expérience peut devenir frustrante à tous les niveaux.

Moi-même, j’apprécie la présence d’un minimum de challenge. Récemment par exemple, lors de ma découverte de Prey, je n’ai pas hésité à monter le niveau de difficulté d’un cran avant de débuter la partie, afin de profiter au maximum d’une promesse de gameplay pointu. Ainsi, le début m’a franchement convaincu, chaque faux pas pouvant entrainer la fin de la partie. Plus tard, cette difficulté stimulante s’est dérobée au fil de la montée en puissance de mon avatar et de mon accommodation aux différents mécanismes. Dès lors, le jeu avait nettement moins à offrir, les situations se résolvant toujours de la même manière, à savoir un bon gros coup de shotgun. A vrai dire, Dishonored m’avait fait le même effet à l’époque avec ses pouvoirs super balèzes, là où Bioshock 2 (pour prendre un exemple du même genre) avait réussi à tenir un équilibre entre difficulté et montée en puissance tout au long de l’aventure. Evidemment, pour pallier à de mauvais réglages, quantité de titres aujourd’hui permettent de changer en cours de partie le niveau de difficulté. Cependant, la plupart du temps, seulement trois modes de difficulté demeurent disponibles : « facile » pour se balader, « normal », qui correspond à la proposition du jeu d’origine, et « difficile » pour ceux qui maitrisent sur le bout des doigts. L’écart entre ces paliers peut apparaitre trop important pour un joueur qui souhaite adapter comme il le souhaite le challenge à son rythme et sa façon de jouer. De plus, c’est franchement anti-immersif d’arrêter sa partie pour changer la difficulté, que ce soit en plus facile ou en plus dur. C’est ici qu’intervient une très bonne idée d’Hellblade : Senua’s Sacrifice : la difficulté automatique.

Les nombreux curseurs de Dishonored 2, à ajuster pour construire la difficulté qui convient.

Toutefois, Hellblade n’est pas le premier jeu à tenter une difficulté adaptative. Nous avions eu les RPG Final Fantasy VIII et The Elder Scrolls IV : Oblivion, par exemple, qui harmonisaient le niveau des ennemis en fonction de celui du joueur (le problème : tuer de simples rats à un niveau élevé devenait assez fastidieux) ; Left 4 Dead, dont les parties, déjà réglables par un premier mode de difficulté, étaient gérées par une IA qui s’acharnait sur l’équipe de joueurs – avec des vagues plus ou moins injustes de zombis et de tanks – si celles-ci s’en sortaient trop bien ; Dishonored 2 quant à lui, et même si ce n’était pas automatique, proposait une liste impressionnante de paramètres (possibilités de sauvegarde, portée de vision des ennemis, rapidité des effets anesthésiants, etc.) à ajuster manuellement selon les exigences du joueur ; Enfin, SiN Episodes : Emergence, suite d’un FPS un peu obscur ayant eu son temps de gloire dans les années 90, proposait une difficulté dynamique malheureusement complètement buggée à sa sortie. Pourtant, à mon sens, peu de ces jeux ont su proposer un équilibrage convaincant dans leur gestion de la difficulté.

C’est ainsi qu’Hellblade s’est pointé avec ses trois niveaux de difficulté habituels et son mode automatique (par défaut sélectionné), et m’a convaincu. Si l’on ne sait pas trop comment se règle l’adaptation au joueur, j’ai en tout cas été confronté à une difficulté naturelle. Les premiers combats furent compliqués, le temps de comprendre comment réagissent les adversaires, mais également le personnage que je contrôlais : Senua. Cette dernière est en plus atteinte d’une malédiction à l’aspect noirâtre, qui lui grimpe sur le bras au fil des échecs et des morts à répétition. Le jeu faisant comprendre qu’une fois la malédiction arrivée au visage de Senua, le game over définitif arrive, avec carrément la suppression des sauvegardes, chaque défaite finit par faire monter la pression d’un cran ! Spontanément, les réflexes s’apprennent. Sans doute la difficulté s’ajuste-t-elle pour permettre au joueur de comprendre les mécanismes de combat, avant de se renforcer une fois ceux-ci acquis. Tout cela est transparent, presque naturel, et contribue à une expérience forte et cohérente de bout en bout.

Du coup, depuis cette expérimentation plus que réussie, je me demande pourquoi les studios n’investissent pas davantage dans un mode de difficulté automatique, qui sache s’adapter aux (trop nombreux ?) profils de joueurs – ce qui, au passage, atténuerait les débats stériles entres débutants et hardcore gamers. Certes, Hellblade ne propose pas un gameplay hyper compliqué, et c’est en partie pour cette raison que l’algorithme d’ajustement de la difficulté, bien qu’ambitieux, a pu être réalisé comme souhaité, tout en restant cohérent avec le reste du jeu. Un tel équilibrage reste loin d’être facile à mettre en place, mais quand j’observe l’éventail de paramètres de difficulté de Dishonored 2, je me dis que cela doit être accessible de développer un algorithme qui peaufine automatiquement chaque curseurs, en fonction des forces ou des faiblesses du joueur, soit pour le faire progresser naturellement s’il galère, soit au contraire pour le forcer à changer de tactique, à revoir ses acquis sur certaines facilités de gameplay. Voici pour moi la difficulté idéale : celle qui s’adapte aux actions du joueur, qui le pousse à considérer chaque possibilité de gameplay, à le sortir de sa précieuse zone de confort, afin d’explorer d’autres périmètres jusque-là inconnus. Certaines astuces de game design permettent cela de temps à autres, notamment en supprimant l’équipement du joueur, qui se retrouve par exemple capturé et enfermé, et doit réfléchir à une solution de sortie sans son confort habituel. Néanmoins, cela reste ponctuel, confiné à de rares situations, parfois peu inspirée qui plus est. En revanche, s’il s’agit d’une difficulté surprenante (à l’image de l’IA tarée de Left 4 Dead) qui crée le décalage, le joueur parviendra vraiment à sortir de ses petites habitudes qui l’enferment dans une routine désagréable, et il profitera alors au maximum de l’œuvre qu’il est en train de parcourir.

 

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