Réflexions sur l’inconnu dans le jeu vidéo

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Ces dernières années, je m’aperçois que les jeux m’ayant le plus marqué partagent une singularité intéressante : ils propulsent le joueur dans un univers inconnu, sans vraiment de contexte, sans mise en bouche, sans objectif apparent. Une orientation audacieuse qui, justement, désoriente complètement le joueur. Que fait-il ici ? Quel est son but ? Comment le découvrir ? Comment jouer, même ? Ce flou de départ appelle à tâtonner, le gameplay comme l’univers se dévoilant par minuscules bribes en parallèle des premiers pas du joueur. Je trouve ce principe fascinant, peut-être assez angoissant de prime abord, mais je pense qu’il contribue à rendre l’expérience de jeu plus authentique, probablement plus marquante sur le long terme.

Les différents Soulsborne, Subnautica, Outer Wilds, ou The Witness, que j’ai terminé récemment et sur lequel je reviendrai dans une prochaine chronique, sont des exemples vraiment concrets d’une bonne implémentation de ce choix de design. Certes, je reviens toujours sur les mêmes jeux depuis quelques temps, mais j’essaie de comprendre pourquoi eux et pas d’autres, pourquoi ils exercent sur moi – et tout un tas d’autres joueuses et joueurs – une telle fascination. Ainsi, ces titres catapultent à leur manière le joueur dans leur univers, avec un vague « débrouille-toi » en guise d’introduction.

Les Souls proposent en général un rapide tutorial, puis indiquent un premier objectif des plus cryptiques, comme sonner une cloche ou aller chercher des Seigneurs des Cendres (Quézako ?). Le reste se fait par la découverte des lieux, l’exploration minutieuse de chaque recoin, ponctuée de premiers affrontements douloureux. Si bien qu’au bout de quelques heures, ces premiers objectifs s’oublient aisément. Il s’agit du prétexte, de l’invitation.

Idem pour Subnautica, les premières minutes mettent en scène le crash du vaisseau du joueur sur une planète inconnue. Océan à perte de vue, seule l’énorme épave apparait au loin, et on se doute qu’il va falloir nager jusqu’à elle très prochainement pour trouver le moyen de quitter cette planète et rentrer chez soi. Un objectif implicite très vite noyé sous l’urgence de « la survie ». Boire, manger, et avoir des réserves suffisantes d’oxygène devient vite le souci majeur de cette nouvelle vie. Et toujours cette épave en arrière-plan et ces fonds marins époustouflants, véritable invitation à l’exploration.

Outer Wilds est plus radical : pas d’introduction, pas de contexte, le jeu commence autour d’un feu, où l’on grille des marshmallows. Le premier objectif, que je qualifierais plus de « tâche » est d’aller chercher des codes de lancement pour notre fusée, dans une maison du village. Notre village. Aucun danger (a priori), et pas de grandes distances à parcourir, d’où le terme de tâche plutôt que de véritable objectif. En revanche, le joueur a tout à découvrir dans ce monde qu’il ne connait pas, et la zone du village fait office de tutoriel – parfaitement organique pour le coup. Les enjeux d’Outer Wilds mettront un certain temps à se dévoiler, et il s’agit là d’une grande force du jeu : c’est l’exploration elle-même qui lèvera au fil du temps le mystère lié au véritable but du jeu.

Enfin, The Witness, lui, se montre encore plus drastique dans sa proposition, puisqu’absolument aucun objectif ne viendront perturber votre exploration de l’île mystérieuse. Le début, la première zone, très linéaire, se charge d’expliquer naturellement le concept des énigmes du jeu – une sorte de tutoriel. Une fois le portail de cette zone ouvert, tout devient accessible. Sans objectif, il faudra donc parcourir l’île, et essayer de comprendre de quoi il en retourne.

Essayer de comprendre, voilà un concept intéressant – et c’est exactement ce qui rend ces jeux si attachants -, surtout au travers d’un média interactif comme le jeu vidéo. Au-delà de l’exploration, prépondérante dans les exemples cités, il faut aussi assimiler les mécanismes, le gameplay. Apprendre à résoudre les énigmes tordues de The Witness, connaitre les patterns et les faiblesses des ennemis de Dark Souls, ou encore maitriser les lois physiques d’Outer Wilds. Ces « règles » permettent aussi d’en savoir plus sur les univers des jeux, les maitriser revient ainsi à augmenter son « savoir-faire ». Le joueur n’a plus du tout la même approche des situations, le même regard, au début et à la fin des jeux.

En effet, le jeu lui a appris des choses. Cette « transmission » me parait importante, d’autant plus qu’elle est privilégiée par le contexte bien particulier de ces titres, celui de l’inconnu. Le joueur ne connait ni l’environnement, ni les règles qui le régissent. Il ne sait pas à quel point ce qui l’attend va être hostile ou non. Il subit l’absence de mise en scène explicite qui le préviendrait miraculeusement de quoi que ce soit, et la seule narration se fait généralement par l’observation de l’environnement. Au final, et comme on l’évoque tout au long de cet article, le joueur n’a aucun but bien défini. Il est donc livré à lui-même, et doit apprendre pour avancer.

Cet apprentissage, on peut aussi le voir comme une forme d’introspection. On apprend sur soi, au travers du jeu. Les boss des Souls, les énigmes de The Witness sont autant de murs à franchir. On se sent parfois totalement incapable, déconcerté, face à eux, mais on fini par les escalader, et passer à la suite, avec ce petit bagage en plus de savoir et de confiance, un atout supplémentaire pour le prochain obstacle. Les profondeurs marines de Subnautica me terrorisaient, impossible de descendre au-delà d’un certain seuil. Puis, en y allant petit à petit, avec les bons équipements et les données sur la faune et la flore, cette peur a pu être maitrisée (bon, c’était dur quand même !). Je trouve cet aspect du jeu vidéo absolument fascinant. Ce sentiment d’accomplissement d’un côté, et de l’autre, le fait de savoir qu’il existe en soi une faculté à interpréter et surmonter cet environnement inconnu. Un mélange philosophique, artistique, inhérent aux jeux vidéo, et surtout à ces quelques jeux en particulier évoqués dans l’article. Des titres audacieux qui ont marqué ma vie de joueur. Ma vie de manière générale d’ailleurs, comme un bouquin ou un film peut le faire, ou même comme n’importe quelle œuvre d’art, qui parviendrait à transmettre quelque chose, une sensation, un sentiment, une réflexion, une émotion.


2 réponses à “Réflexions sur l’inconnu dans le jeu vidéo”

  1. Bonjour,

    Je partage le même sentiment. J’adore les jeux dont la progression se fait autant (voire complètement) dans ma tête plutôt que dans l’univers du jeu. C’est particulièrement puissant dans Outerwilds, puisque tout était accessible dès le départ, il fallait simplement acquérir des connaissances et des compétences.

    Aujourd’hui, je recherche avant tout les jeux qui parviennent à nous transmettre des informations via leurs mécaniques et je pense qu’un jeu qui se repose uniquement sur des techniques de cinéma (scènes cinématiques) ou de littérature (journaux à lire) pour communiquer son histoire n’a pas réussi à profiter de la force de ce média.

    Lorsque c’est au joueur de découvrir les clés de l’univers du jeu, ça peut créer des moments vraiment puissants et je remarque que les rares jeux qui ont réussi à m’impliquer dans la compréhension de l’histoire sont ceux qui m’ont le plus marqués.

  2. Pour moi, tu viens de définir exactement ce que je cherche dans le jeu vidéo et ce, depuis que j’ai découvert Riven quand j’étais petit. Le jeu repose sur ce principe de monde inconnu à apprivoiser en observant et en écoutant l’environnement et les « puzzles » sont au final des machines dont il faut comprendre le fonctionnement et les manipuler pour libérer le passage et avancer. The Witness s’en inspire largement (avec son grand frère Myst).

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