La série des Souls – pourquoi aime-t-on souffrir ?

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La sortie prochaine du jeu vidéo Dark Souls III, Embrace the Darkness, en Avril 2016, sera l’occasion, pour les fans de la série des Souls et de Bloodborne, de se replonger dans un monde où voir son personnage mourir fait partie des mécanismes du jeu. C’est aussi l’occasion aujourd’hui de se demander pourquoi les joueurs apprécient-ils ce genre de tortures vidéoludiques.

Dark Souls, Prepare to die Edition, c’est ainsi qu’il est présenté sur la plateforme de jeux vidéo Steam. Tout un programme, et aussi une certaine franchise : le tutoriel est à la hauteur du reste, puisqu’il est possible de voir son personnage périr face à un simple monstre, dévoilant ainsi le célèbre écran « Vous êtes mort », que l’on a très souvent l’occasion de voir dans le jeu.

Cet écran est visible sur les autres productions de la série Souls, au point d’être devenu un mème Internet, à l’instar du « Wasted » de GTA. Et c’est frustrant, laissant l’impression que les développeurs se moquent du joueur à travers cette phrase.

Tout comme c’est une frustration de voir son personnage être poussé dans le vide par une flèche d’un mètre de long, quand on a bataillé vingt minutes pour parvenir à cette petite corniche, c’est une frustration de voir son personnage mourir face à un boss à qui il ne reste plus que deux pixels sur sa barre de points de vie, et c’est aussi une frustration de devoir parcourir à nouveau tout ce chemin juste pour pouvoir l’affronter et perdre à nouveau… Et pourtant, on aime ça. Mais pour quelles raisons souhaiterait-on s’infliger ce genre de sévices ? Qu’est-ce qui pousse les joueurs à continuer, malgré un système de jeu aussi punitif ?

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Ghost’n Goblin, la rétro-nostalgie

Une des raisons de cet engouement pour ces jeux à la difficulté élevée vient peut-être de ce que l’on appelle le «rétro-gaming», c’est à dire la nostalgie des anciens jeux vidéo. Ce souvenir a notamment été alimenté par des Youtubeurs tel le Joueur du Grenier en France, et l’Angry Video Game Nerd aux Etats-Unis.

Certains des jeux présentés dans ces émissions sont connus pour leurs difficulté parfois ahurissante, surtout quand on pense qu’ils étaient destinés à un jeune public, tels Teenage Mutant Hero Turtles, ou bien le célèbre Ghost’n Goblins. Le principe de ce dernier est simple : vous devez sauver la princesse. Pour cela, on vous remet une armure, si fragile qu’elle est détruite au premier coup donné par l’ennemi, tandis qu’au second, votre personnage meurt et vous recommencez depuis le début.

Mais ce n’est pas tout !

Pour débloquer la véritable « fin » de ce jeu, il faut le refaire entièrement…  Et, selon l’Angry Video Game Nerd, seule une, voire deux des armes du jeu sont utiles face aux nombreux ennemis rencontrés dans les différents niveaux du jeu.

Quant à Teenage Mutant Hero Turtles, il n’est pas non plus en reste, puisque si l’on peut incarner les quatre Tortues, pour autant d’essais possibles, le jeu reste très difficile. On se souvient notamment d’un passage particulièrement ardu, nommé «Le niveau du barrage». Les tortues étaient supposées désamorcer des bombes placées sur un barrage, dans un milieu aquatique, avec un fort courant, des algues et des portes électrifiées, le tout dans un temps limité.

Ce passage du jeu connut un tel succès qu’un créateur de jeu vidéo indépendant, noiarc, a récemment créé récemment That dam Level, sorti au début du mois d’octobre 2015 et qui reprend ce concept en l’étendant sur plusieurs cartes différentes, toutes aussi difficiles les uns que les autres.

Ces deux jeux, avec d’autres, tels Castlevania ou Megaman, ont marqué, par leur difficulté les esprits des jeunes gamers des années 90.

Par la suite, cette exigence du joueur s’est vu abaisser. Certes, de nombreux titres proposent encore des degrés de difficulté élevée, tel, par exemple, God of War et ses paliers suivants : par ordre croissant, Humain – Demi-Dieu – Titan – Dieu. Pour autant, l’on n’a pas cette idée de « véritable » difficulté, avec laquelle on doit composer tout au long du jeu, et peut-être est-ce ça qui attire les joueurs de nos jours ?

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L’appel du défi

FUS RO DAH ! Une des phrases des plus emblématiques de la série The Elders Scrolls, prononcée en draconique, langue spécialement créée pour les besoins du jeu, permettant au personnage d’envoyer ses adversaires voler en tous sens, ce qui écourte certains des combats les plus difficiles.

Dans la série des Dark Souls, pas question d’avoir ce genre de pouvoir, ou bien son usage reste limité. Certes, les ennemis ont un schéma de déplacements et d’attaques qui leur est propre, et qu’il est possible de retenir et d’anticiper après quelques essais. Mais une seule erreur, et l’écran s’assombrit, pendant que la phrase «Vous êtes mort» apparait en lettres rouges.

Et, quand ce ne sont pas les ennemis « communs», ce sont les boss, qu’ils soient démons, fanatiques, chevaliers maudits ou bien divinités, qui mettent le joueur en échec. Cela oblige ces derniers à changer leurs stratégies, à tenter de nouvelles approches pour franchir cet obstacle. Heureusement, les joueurs ont l’opportunité d’invoquer des fantômes à leurs côtés, tels des PNJ, qu’il est par ailleurs possible de rencontrer au gré des aventures du personnage, ou bien demander de l’aide à d’autres joueurs. Toutefois, il s’agit là d’un pari risqué, car la coopération augmente la difficulté du combat, le boss recevant alors une augmentation de ses points de vie, de sa défense et même de ses dégâts.

Les combats face à ces boss sont haletants, prenants, et surtout, stressants. Les thèmes musicaux qui leurs sont alloués n’aident pas à se détendre, et plongent le joueur dans une ambiance à la fois angoissante et épique, à la hauteur du combat.

Ces adversaires sont plus puissants, plus rapides et résistants que les adversaires «normaux» rencontrés dans le jeu, et se battent dans des arènes qui leur sont spécifiques. Ces dernières représentant d’ailleurs des pièges mortels pour les joueurs, avec des éléments de décor bloquant leurs mouvements, quand l’arène en question n’est pas au bord d’un précipice, ou d’un lac de lave.

Une victoire face à ces adversaires hors du commun laisse toutefois place à un moment de bonheur : l’on a relevé le défi qui était proposé, parvenant ainsi à tenir jusqu’au bout de cette épreuve, à vaincre l’adversité. Le personnage joué devient plus fort grâce aux points d’expériences obtenus à la fin du combat, et reçoit, parfois, un bien meilleur équipement lui permettant de progresser avec plus d’aisance.

Mais, en général, la simple satisfaction d’avoir triomphé de cet ennemi redoutable reste une récompense en soi. Au moins, on ne le verra plus avant le NG+, c’est-à-dire l’opportunité de parcourir à nouveau le jeu, avec un niveau de difficulté accru.

Recommencer l’aventure est aussi une façon de relever un défi d’un autre genre : décortiquer l’histoire du jeu.

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Dissiper les brumes de l’histoire 

(ndr : attention, quelques spoilers se cachent dans ce paragraphe)

Voilà peut-être l’élément qui explique le succès de ces jeux. Contrairement  à d’autres RPG, telle la série des Dragon Age, Fable ou même The Elders Scrolls, la chronologie des Dark Souls est extrêmement cryptique. Heureusement, la recherche et la découverte des fragments d’histoire s’avèrent être, en fin de compte, une quête passionnante.

Pour prendre l’exemple du premier Dark Souls, le joueur, durant le tutoriel, apprend que sa tâche est de sonner une Cloche, sans savoir quel effet cela produira. Il n’apprendra que plus tard qu’il n’y a pas une, mais deux Cloches à sonner, une dans le clocher d’une église, l’autre au fond d’un marais empoisonné, et il s’agit là de la seule indication qu’il recevra durant les… Quinze prochaines heures de jeu, si il ne papillonne pas entretemps.

Ce n’est qu’à la suite de ces épreuves qu’il rencontre Frampt, le Cherche-Roi, un Serpent Primordial. Ce dernier donne ses nouvelles instructions au joueur : se rendre en Anor Londo, Terre des Dieux, pour récupérer un Calice Royal. Une fois cette « formalité » accomplie, le Noble Mort-Vivant devra récupérer les fragments d’Âme du Seigneur, entendez par-là l’âme de Gwen, Seigneur des Cendres, et objectif final du joueur.

Pour cela, il devra affronter, tour-à-tour le Foyer du Chaos, créé par accident par la Sorcière d’Izalith en tentant de recréer la Première Flamme, Seath l’Ecorché, un dragon sans écailles, albinos et aveugle, cherchant à créer l’Ecaille d’Immortalité, qui lui garantirait le pouvoir de défier la mort elle-même, les Quatre Rois, vassaux de Gwen ayant été trompés par le second Serpent Primordial, Kaathe le Cherche-Ténèbres ;  enfin Nito, Seigneur des Morts, maître de la nécromancie.

La finalité de ces épreuves est de prendre la place du Seigneur des Cendres, et donc d’entretenir la Première Flamme, en se sacrifiant de la même façon que Gwen s’est autrefois sacrifié.

Or, choisir ce sacrifice, ironiquement, empêche l’Âge des Ténèbres de survenir, une ère qui permettrait à l’Humain de régner sur la terre.

Toutefois, il ne s’agit que d’une des deux fins proposées : trouver parler à Kaathe, puis suivre ses conseils, permet au joueur, un Humain, de laisser la Première Flamme périr, et donc de laisser l’Âge des Ténèbres survenir, ainsi que l’avènement de l’Humanité.

Mais, plus que l’histoire générale du jeu, il est possible de découvrir l’histoire de personnages que l’on rencontre, voire que l’on affronte, grâce à de petits indices, des anecdotes contées par des PNJ, etc… La chaîne Youtube de VaatiVidya, en anglais, s’en est fait une spécialité, avec un aspect orienté «jeu de rôle», l’histoire étant en effet contée avec un petit aspect autobiographique, l’avatar du joueur revêtant, le temps d’une vidéo, les costumes des différents protagonistes du récit.

Il est à noter que ces histoires sont généralement tragiques, et certaines sont liées entre elles. Parfois même, le joueur est la cause de cette tragédie en causant, de façon indirecte ou directe, la mort du ou des protagonistes.

On peut penser, par exemple, à l’histoire de Siegmeyer de Catarina, le « Chevalier-Oignon », qui sombre dans le désespoir au fur et à mesure que le Noble Mort-Vivant lui vient en aide, puisque Siegmeyer est un chevalier (dans le sens « protecteur » du terme) renommé en Catarina qui, une fois devenu un Mort-Vivant, est parti pour sa dernière aventure dans les terres de Lordran. Malheureusement, il ne parvient pas à surmonter les difficultés qu’il rencontre, « forçant » ainsi le joueur à l’aider, indirectement ou non. Mais, chaque fois qu’il reçoit ce soutien providentiel, Siegmeyer perd de sa fierté chevaleresque et abandonne petit à petit tout espoir, puis finit par sombrer dans la mélancolie, laissant ainsi la Marque Sombre le dévorer et le transformer en Carcasse.

Pour conclure…

Cet engouement pour les jeux de la série des Souls ressemble au principe de la carotte et du bâton. Le bâton est ici le système de jeu punitif, la difficulté constante, voire le déroulement trop cryptique de l’histoire. La carotte, quant à elle, représente les nombreux objets et équipements trouvés ainsi que la satisfaction d’avancer plus avant dans le jeu tout en découvrant, au fil de l’eau les différentes pièces du puzzle narratif.

C’est ce mélange, savamment dosé, qui fait la force de la série des Souls, et qui pousse les joueurs à entrer dans ces univers sombres, où aucun espoir ne semble exister.

Tatu

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2 réponses à “La série des Souls – pourquoi aime-t-on souffrir ?”

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