Pillars of Eternity – narration à double tranchant

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J’attendais beaucoup de Wasteland 2. Ce fut une déception. J’attendais encore plus de Pillars of Eternity. J’ai donc installé le jeu avec une certaine fébrilité, redoutant un échec davantage cuisant que le RPG post-apocalyptique mentionné ci-dessus. Heureusement, la dernière production d’Obsidian s’en sort avec les honneurs. On pourrait presque parler d’un digne héritier du fameux Baldur’s Gate !

Du titre mythique de Black Isle, Pillars of Eternity en reprend quasiment toutes les grandes lignes. La vue du dessus, sublimée par les résolutions actuelles et une direction artistique à tomber, le système de combat rythmé par les pauses manuelles où le joueur donne les ordres à son groupe, ou encore les dialogues aux nombreuses possibilités, qui donnent du corps aux personnages et situations. Un respect presque émouvant, qui ne l’empêche pas de proposer diverses améliorations à ces grandes lignes, comme la gestion du zoom, de la vitesse de jeu (adieu les interminables randonnées à travers la carte), de nouvelles classes venues apporter du sang neuf, comme les clairvoyants aux pouvoirs rechargeables, ou encore quelques phases fortement orientées « jeux de rôles papier », où le narrateur place le groupe face à un évènement ou un obstacle, et par choix puis par tests de certaines caractéristiques, celui-ci est amené à une résolution différente.

J’évoquais alors le narrateur. Celui-ci détient une place prépondérante dans Pillars of Eternity car, au-delà de la richesse des dialogues, tout est décrit, précisé, presque à chaque instant, chaque interaction. Pour le joueur, voir mélangés dialogues et descriptions peut paraitre assez perturbant au départ. L’immersion façon Livre dont vous êtes le héros apporte toutefois un petit quelque chose qui ne déplait pas. En effet, la vue de dessus n’étant pas des plus précise, surtout au niveau du comportement des personnages, cette narration ajoutée fournit son lot de détails bienvenus. En revanche, tout apparait du coup très verbeux. La moindre rencontre dépile des tonnes de textes, que l’on suit ou pas avec attention. De manière générale, l’écriture a beau être particulièrement réussie, sa nature fleuve peut parfois perdre son lecteur, joueur avant tout. Ainsi, il n’est pas rare, si les propos s’éloignent un peu trop, de lire en diagonale les évènements. Problème : parfois sont prodiguées des informations d’une importance capitale, peu mises en avant par rapport aux annexes. On ingurgite alors une quantité considérable de données, sur l’univers, les personnages, la mythologie, les intrigues locales, passées ou à venir. La narration est ultra-dense. Il est impossible de tout retenir et bien structurer les éléments dans son esprit. Le journal de bord in-game est là pour aider, et il le fait très bien pour les quêtes annexes, mais le problème concerne surtout la trame principale ou le background (excellent au passage, avec un lore et une mythologie remarquables). Si bien qu’une fois entamée la dernière ligne droite du jeu, on se pose pas mal de questions, du type pourquoi ou comment. En réalité, tout est expliqué au cours du jeu, il suffit de remettre chaque information dans la bonne case, et le lien se fait naturellement, affichant par là même un excellent scénario fort bien ficelé. Seul hic, retrouver les bonnes cases et les indications correspondantes n’est pas si simple… Le côté bavard de Pillars of Eternity apparait alors à double tranchant, révélant d’un côté un univers d’une richesse affolante, et distillant de l’autre les clés de compréhension dans du détail superflu et annexe.

Puisque l’on parle de superflu, il est à noter un autre problème que soulève Pillars of Eternity : son contenu trop généreux. Etrange, n’est-ce pas ? En fait, il nous est proposé énormément de possibilités (objets, sorts, artisanat, enchantement, etc.) qui ne servent à rien, ou si peu. Il s’agit là d’une part du budget, reléguée à d’obscurs menus ou à quantité d’objets sans intérêt. Rappelons que ce RPG fut financé via crowdfunding, sur Kickstarter, et obtint près de quatre fois le budget demandé. Pas un éditeur ou un producteur pour chapeauter tout ça, mais plus de 70 000 investisseurs, avec leurs demandes, et en face, les promesses faites par Obsidian. En résulte ainsi un fourre-tout vidéoludique, où, finalement, l’on se rend compte que tout n’est pas si indispensable. Ne vous méprenez pas, je suis vraiment heureux que ce projet ait pu voir le jour. Le résultat est d’ailleurs excellent. En revanche, je reste assez perplexe quant au surplus d’argent généré par le Kickstarter d’Obsidian. Argent qui aurait pu financer d’autres projets, plus modestes et certainement moins populaires.

Pillars of Eternity est bien le jeu que l’on attendait. Digne successeur de Baldur’s Gate, il en brandit fièrement l’étendard, lui aussi remis au gout du jour. Attention cependant à la narration fleuve, aussi passionnante que perturbante.

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