Pourquoi Outer Wilds mérite-t-il sa place au MoMA ?

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Attention, même si la suite de cet article ne révèle pas d’éléments clés de l’histoire d’Outer Wilds, il dévoile toutefois certains concepts forts du jeu, qu’il est préférable de découvrir soi-même.

Le MoMA vous connaissez ? Le prestigieux Museum of Modern Art de New York renferme une collection d’œuvres d’art impressionnante, et surtout très diversifiée. On y trouve même du jeu vidéo, avec des titres comme Pong et Tetris, évidemment, mais aussi du Portal, du Another World ou du Minecraft. Une collection de jeux (plus d’une vingtaine à ce jour), jouables ou en démonstration, qui propose un rapide aperçu du monde du jeu vidéo, et nous amène naturellement à réfléchir sur le lien entre l’art et ce vaste média du divertissement.

Et Outer Wilds, ça vous dit quelque chose ? Il s’agit d’un jeu d’exploration spatiale développé par les californiens de Mobius Digital et édité par Annapurna Interactive (What Remains of Edith Finch, Gorogoa). L’une des particularités d’Outer Wilds, c’est que le système solaire bornant les limites du terrain de jeu reste à taille humaine. Il ne suffit que de quelques minutes pour en faire le tour avec son vaisseau ou simplement le traverser. Les planètes, les satellites, les comètes ou l’énorme soleil central, se montrent rapidement identifiables, avec chacun leurs caractéristiques et leur design. Leviathe par exemple, est la planète géante verte, pleine d’eau et de cyclones gigantesques, qui propulsent régulièrement dans l’espace les quelques îles ici et là. Autre exemple, les Sablières consistent en deux planètes jumelles, l’une pleine de sable et l’autre pleine de trous. Au fil du temps, le sable va littéralement « couler » entre les deux jumelles, pour venir remplir les trous de la seconde, et dévoiler petit à petit l’architecture ensevelie de la première.

Ce changement, cette masse impressionnante de sable qui se déplace entre les deux planètes, est à accoler au second choix majeur de game design d’Outer Wilds : le temps s’écoule, et il a une importance capitale dans l’aventure. La preuve, si au bout de 22 minutes vous n’avez pas terminé le jeu, le soleil explose et le système solaire est détruit, vous avec. Rude et sans concession. Il va donc falloir comprendre ce qu’il se passe et résoudre l’énigme du jeu dans le temps imparti. La mort n’est évidemment pas signe d’un Game Over définitif, mais elle est une composante du jeu à accepter. En effet, lorsque le système solaire explose, tout est alors remis à zéro et une nouvelle partie débute. Seul le journal de bord est conservé, contenant les indications des précédentes découvertes. Chaque tentative est ainsi un pas – plus ou moins grand – vers la vérité, et donc vers la résolution du casse-tête que propose le jeu : comment empêcher la fin du monde en moins de 22 minutes ?

Pour répondre à cette grande question, il faudra explorer ; découvrir chaque planète, chaque élément naturel ou artificiel de ce système solaire, régi par des règles inhabituelles ; traduire les textes d’une ancienne civilisation des plus mystérieuses ; ou même comprendre des phénomènes a priori inexplicables (coucou la lune quantique). Outer Wilds nous propulse dans un monde totalement inconnu et ce, bien entendu, sans indication. Les premiers instants sont d’ailleurs parfaitement déstabilisants. Les premiers vols, en vaisseau ou à l’aide du jetpack de notre combinaison, se montrent déroutants, et nous amènent rapidement vers une mort certaine. En revanche la marge de progression est impressionnante et on se surprend au bout de quelques temps à atterrir à vive allure sur des comètes en mouvement, ou bien à gérer son jetpack au mètre près, à une vitesse indécente pour l’espérance de vie de notre avatar. Bref, Outer Wilds est un jeu d’apprentissage autant que d’exploration. Un apprentissage macroscopique, où l’on voit comment le système solaire se comporte – par exemple en combien de temps le sable rempli la seconde planète des Sablières, ou à quel moment précis la comète passe près du soleil et fait fondre la glace –, mais aussi un apprentissage microscopique, où chaque exploration de planète doit être minutieux, pour ne rater aucune information nécessaire à la compréhension de l’ensemble. C’est puissant, vraiment.

C’est précisément sur ce point qu’Outer Wilds tire son épingle du jeu : ce sentiment de  « compréhension de l’ensemble », après avoir surmonté l’inconnu omniprésent du début du jeu. C’est un sentiment singulier, inédit à ce point, pour ma part en tout cas, dans le monde du jeu vidéo. Cela est lié à la conception du système solaire, à la fois bourré de mystères – et tout à un sens une fois le puzzle reconstruit –, mais aussi aux limites géographiques concevables dans notre esprit, et à la chronologie également identifiable, répétée à l’infini. A la fin du jeu, on connaît par cœur ce monde, dont on ne soupçonnait absolument rien avant de se lancer dans l’aventure. On a même percé son secret, et empêché sa destruction. Je trouve ça fascinant. Et d’autant plus que si l’on n’avait jamais bougé un orteil de notre avatar, la boucle de 22 minutes continuerait son existence à l’infini, et les Sablières recommenceraient leur transfert de sable à chaque fois, inlassablement. Le système solaire vit durant ces 22 minutes. Il est le centre du jeu, davantage même que le joueur, qui ne fait que le parcourir et tenter de le comprendre. Néanmoins, une fois l’ensemble en tête, on parvient à rompre la boucle, et le système solaire n’est plus au centre du jeu, il est désormais remplacé par le joueur, éclairé, qui profite alors d’un superbe épilogue. Il s’agit presque d’un rapport de force, où l’on commence comme une poussière face à un jeu particulièrement hostile, et où l’on prend le dessus au fil des connaissances acquises. J’insiste sur le fait que tout s’apprend au cours du jeu, et que nul skill, ni connaissances culturelles ou scientifiques pourraient favoriser un joueur par rapport à un autre. Tous égaux !

C’est ainsi sur sa singularité qu’Outer Wilds m’a profondément marqué. Je le trouve à la fois complet vis-à-vis du marché vidéoludique (gameplay, narration, graphismes, musiques) et ingénieux dans son concept et ses tentatives. Ce n’est pas seulement une proposition expérimentale, on trouve aussi une vraie portée ludique et émotionnelle sur l’ensemble de l’aventure. Pour tout cela, il a, à mon sens, parfaitement sa place au MoMA, aux côtés d’autres jeux marquants, sélectionnés par leur audace, leur impact à l’époque, ou plus généralement leur game design. En effet, pour ce qui est du game design d’Outer Wilds, à ce niveau là de conception, et en particulier les imbrications fines du système solaire, je pense que l’on peut parler d’art.

Pour un futur article, j’ai d’ailleurs bien envie de me pencher davantage sur l’artiste derrière l’œuvre. Ou plutôt des artistes, puisque l’on parle ici de l’équipe de Mobius Digital ! A suivre…

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4 réponses à “Pourquoi Outer Wilds mérite-t-il sa place au MoMA ?”

  1. Trop bien de voir un nouvel article sur ce site 🙂 Evidemment attiré par ceux sur dark soul ainsi que sur les livres publiés, je me suis plu a lire nombre des chroniques publiées. J’hésitais vraiment à essayer Outer Wild, maintenant c’est décidé !

    Bonne continuation aux rédacteurs 🙂

  2. […] Outer Wilds est plus radical : pas d'introduction, pas de contexte, le jeu commence autour d'un feu, où l'on grille des marshmallows. Le premier objectif, que je qualifierais plus de "tâche" est d'aller chercher des codes de lancement pour notre fusée, dans une maison du village. Notre village. Aucun danger (a priori), et pas de grandes distances à parcourir, d'où le terme de tâche plutôt que de véritable objectif. En revanche, le joueur a tout à découvrir dans ce monde qu'il ne connait pas, et la zone du village fait office de tutoriel – parfaitement organique pour le coup. Les enjeux d'Outer Wilds mettront un certain temps à se dévoiler, et il s'agit là d'une grande force du jeu : c'est l'exploration elle-même qui lèvera au fil du temps le mystère lié au véritable but du jeu. […]

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