Écritures – quatrième partie (Les résonances de The Leftovers)

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Maintenant que l’arc des Dark Souls – Par-delà la mort est terminé, il est temps de parler de l’écriture d’un autre bouquin, qui n’a absolument rien à voir avec les deux précédents ouvrages, si ce n’est qu’il a aussi été édité par Third Éditions. Il s’agit de Les résonances de The Leftovers.

Retour au début de l’été 2018, cela faisait plus d’un an que la série The Leftovers, dont le dernier épisode avait été diffusé en juin 2017, m’avait retourné dans tous les sens. Ses thèmes (universels), son ambiance, ses acteurs, sa musique surtout, occupaient régulièrement mes pensées. J’avais envie de comprendre pourquoi cette série, cette œuvre en particulier, me faisait un tel effet encore un an après. Et pourquoi ne pas creuser ce sujet dans le cadre d’un livre ? Je voyais déjà quantité de sujets connexes à la série, d’éléments sur lesquels faire des recherches, pour un résultat finalement proche des analyses des bouquins de Third. Leur label Force, orienté pop-culture, était l’occasion rêvée ! Par ailleurs, cela faisait plus d’un an que Dark Souls – Par-delà la mort volume 2 était terminé, et malgré la tonne de boulot que demande un ouvrage, on a toujours envie de retrouver cette stimulation intellectuelle propre aux recherches et à l’écriture.

J’ai donc pris mes plus beaux arguments pour soumettre l’idée à Third Éditions. Je n’avais vraiment aucune idée de leur réaction, ni même s’ils connaissaient la série ou l’avaient appréciée. Quelle que soit leur réponse, j’aurais dans tous les cas publié des choses sur la série, ici sur chroniques-ludiques.fr ou ailleurs. C’était vraiment important pour moi d’écrire sur The Leftovers.

À la fin de cet été 2018, le projet était approuvée et le contrat signé, avec une date de publication prévue le 14 octobre 2019, date anniversaire bien connue des fans de la série, celle de la Soudaine Disparition.

Je commence à en avoir une collection de ceux-là !

Premier livre sur une série télévisée chez Third, premier bouquin en solo pour ma part, j’avais pas mal d’appréhension sur de nombreux points (la partie Création notamment), mais j’étais vraiment à fond ! D’autant plus qu’aucune analyse poussée – du moins à l’époque – n’avait encore été publiée, contrairement à des séries plus anciennes comme Breaking Bad, Lost, ou Battlestar Galactica, pour lesquelles il existe déjà pas mal de littérature. Bref, ce genre d’exploration m’enthousiasmait particulièrement.

J’ai imaginé un premier plan en essayant de respecter les trois piliers propres aux essais de Third Éditions, à savoir Création, Univers et Décryptage. L’univers de The Leftovers n’étant pas des plus sexy, ni des plus dépaysant, j’ai plutôt opté pour scinder ce grand chapitre en deux sous-parties. D’une part, un guide des épisodes qui reviendrait en détail sur chacun d’entre eux, avec des anecdotes de tournage ou de production, et un « micro-décryptage » des éléments pertinents. D’autre part, une analyse poussée des personnages, et de leur évolution au fil des saisons. Les parties Création et Décryptage (« macro-décryptage » du coup) resteraient quant à elles dans la veine des autres ouvrages de l’éditeur. J’avais trouvé l’idée du guide des épisodes assez intéressantes après avoir parcouru le livre Cowboy Bebop – Deep Space Blues dont on peut lire un extrait ici.

Si vous avez lu Les résonances de The Leftovers, vous n’y avez effectivement pas trouvé de guide des épisodes ! Les plans sont amenés à évoluer, et heureusement. En effet, après concertation avec mon ancien coauteur et désormais éditeur de ce projet – l’inimitable Damien Mecheri -, le plan a été modifié pour un résultat plus organique. La vision « guide des épisodes » pouvait apparaitre rébarbative, voire redondante avec les autres parties, celle sur la Création si l’on y évoquait les anecdotes de tournage, et celle sur le Décryptage avec, comme je le disais plus haut, cette distinction entre le micro et macro-décryptage. Le pilier Univers – paradoxalement mon terrain de jeu sur les Dark Souls ! – a finalement été supprimé, pour laisser place aux deux grandes parties que l’on connait maintenant du livre : Création et Décryptage. Comment la série a été créée, et ce qu’elle raconte, tout simplement.

Face à ce projet « pharaonique » – de mon point de vue en tout cas -, il fallait bien commencer par quelque chose. En toute logique, je me suis donc repassé l’intégralité de la série. Je n’avais vu The Leftovers qu’une seule fois, dévorant la première saison quelques temps après sa sortie, et suivant ensuite semaine après semaine les épisodes des seconde et troisième saisons. Il me restait bon nombre de souvenirs hyper forts de ce premier visionnage. La deuxième fois, si la surprise n’y était pas, forcément, la portée émotionnelle est quant à elle restée intacte. Les souvenirs n’étaient pas fantasmés. Cette série est vraiment bouleversante.

Point méthode
Comment analyser une série ? Avec mes deux expériences de livres sur des jeux vidéo, me voilà un peu désemparé. Je ne suis plus actif manette en main, à noter ce que j’explore, ce que j’affronte, je suis passif devant une série. Ma seule interaction, c’est de mettre pause pour observer une scène, un plan, une expression. On ne peut rien rater à cause d’une caméra capricieuse ou d’un boss trop coriace qui empêche d’avancer. Tout est là, directement sous nos yeux. Et pourtant, on peut rater plein de choses car chaque plan, chaque situation – surtout dans The Leftovers – est porteur de sens.
Une nouvelle fois, par rapport aux Dark Souls – Par-delà la mort, j’ai changé ma méthodologie pour analyser The Leftovers. Pour chaque épisode, j’ai créé un document, avec un bref résumé de l’épisode en préambule, puis copié l’intégralité du script, extrait des sous-titres anglais (toujours avoir la version originale pour référence !). Au fil de l’épisode, je notais chronologiquement dans ce document, les idées qui me venaient, les références aux autres épisodes, ou à d’autres œuvres, les détails que je ne comprenais pas, trop ambigus, des débuts de pistes de réflexions, etc. J’y apposais bon nombre de captures d’écran, sur des plans que je jugeais intéressants, les tocs de certains personnages, ou des détails dans le décor. Même les points les plus basiques se retrouvaient dans ces documents dédiés, car j’ai vite compris que tout se jouait dans les détails avec The Leftovers !
Une fois tous les épisodes revus, analysés, et annotés dans ces documents, j’ai initié un document de travail pour l’énorme partie Décryptage qui s’annonçait. J’ai repris le plan (très) détaillé élaboré en amont, et, dans Word, j’ai transformé tous les sous-chapitres en nouvelles entrées dans le sommaire. Ainsi, chaque section était accessible en un clic grâce au « Volet de navigation ». Puis j’ai commencé à peupler ces sous-chapitres avec les idées des documents dédiés aux épisodes. Certaines pistes ne trouvaient pas leur place dans les différentes sections du plan, et je les mettais de côté un moment. Soit je trouvais une manière de les intégrer à un chapitre (en le reformulant par exemple), soit elles partaient à la « poubelle », attendant une idée lumineuse ou un abandon définitif ! Ce document, au final, fait plus de 41 000 mots tout de même. J’y ai mis plus tard des liens vers des analyses, des morceaux d’interviews, des extraits de bouquins, c’était vraiment le document de référence de toute la rédaction de la partie Décryptage. À chaque fois que j’intégrais une idée dans le texte final, je la barrais du document de travail, afin d’éviter toute redondance dans le propos. Méthode assez chronophage – cependant beaucoup moins que le wiki maison de Dark Souls – Par-delà la mort volume 2 -, mais vraiment simple et efficace avec du recul. En un coup d’œil on sait ce qu’on va raconter dans un sous-chapitre. Et si jamais on trouve d’autres idées après la rédaction d’une partie (ça m’arrive tout le temps), on sait rapidement si ça peut coller avec les autres points traités, et si on peut facilement les lier (si non, c’est que ça va ailleurs, ou que ça ne va pas).

Le fameux Volet de navigation, et un aperçu du document de travail sur la partie Décryptage.

Voilà pour la méthodologie. Pour la partie recherches, je pense avoir à peu près lu tout Internet sur le sujet ! Il faut dire que le contenu était particulièrement généreux et intéressant, avec quantité d’interviews de divers membres de l’équipe, notamment des deux cocréateurs de The Leftovers, Damon Lindelof et Tom Perrotta, qui n’ont cessé de faire la promotion de leur série au fil des saisons, mais aussi des acteurs, de l’équipe technique, ou encore du compositeur, Max Richter. La banque d’interviews – articles, vidéos, conventions, podcasts – était si précise et fournie qu’au final, avec toutes ces informations et ces anecdotes, je n’avais plus vraiment de questions en suspens à poser à l’équipe.

Heureusement d’ailleurs, car en réalité on a toujours des questions, et j’ai essayé de contacter chaque membre de l’équipe, la plupart du temps en vain. Il s’agit là du point un peu décevant de cette expérience de bouquin, vu l’effervescence autour de la série et la bonne entente au sein de l’équipe, je pensais avoir un peu de répondant en face ! Néanmoins, et je comprends tout à fait, la diffusion et la promotion de The Leftovers étant terminée depuis plus d’un an, tout le monde était occupé sur d’autres projets. Tom Perrotta, qui m’a d’ailleurs répondu, était intéressé par le projet mais m’a aussi signalé qu’il était en pleine production de la série Mrs. Fletcher et que ce serait compliqué de m’accorder du temps. Effectivement, il n’a plus donné signe de vie par la suite ! Lindelof était sur la série Watchmen, complètement sous l’eau aussi. Bref, pas trop de temps à consacrer à un auteur anonyme français ! Tant bien que mal, j’ai essayé de contacter les gens sur les réseaux sociaux, via leur site, ou même leur agent. Certains ont toutefois répondu – Henk Van Eeghen, monteur sur The Leftovers a été trop cool – mais on aimerait toujours plus !

Je me suis donc contenté des dizaines (centaines ?) d’articles disponibles sur le web pour rédiger la partie Création. J’en ai retenu 150 dans la bibliographie, un chiffre qui permet de se rendre compte de la quantité et la richesse des informations. Comme pour la partie Décryptage, j’ai créé des documents de travail, un par saison, en mettant dans les sous-chapitres correspondants, les manières de faire (au scénario, à la production, sur le plateau de tournage) et les anecdotes les plus croustillantes. J’ai placé dans le texte bon nombre de citations des différents membres de l’équipe, car je trouvais leurs points de vue intéressants, et quoi de mieux que leurs propres mots pour s’imprégner de la Writers’ Room, des plateaux de tournage ou de la salle de montage ? On parle ici d’environ 10 000 mots de citations d’interviews. Je les ai d’abord toutes laissées en anglais pour la validation des textes des chapitres avec Damien, histoire de ne pas traduire « pour rien » si jamais certaines n’était pas jugées pertinentes.

Au cours de mes recherches sur la partie Création, je me suis aperçu que ce n’était pas évident d’avoir une vision globale de comment était produite et réalisée une série, notamment aux USA. J’ai donc souhaité abordé le sujet dans le préambule, dédié jusqu’alors à la présentation de Perrotta, Lindelof et la chaine productrice HBO. Cela permettait surtout de bien comprendre les étapes de confection d’une série, pour ensuite ne pas être trop perdu lors de la lecture de la création The Leftovers, quant à elle vraiment orientée sur ses spécificités et non les grandes lignes.

Pour le reste de la rédaction, tout s’est déroulé sans encombres. Je gardais l’introduction et la conclusion pour la fin, avec l’envie d’orienter ces deux pages sur un élément plus subjectif que le reste du livre – très porté sur l’analyse – et raconter notamment pourquoi j’écrivais ce bouquin. J’avais prévu de terminer le manuscrit pour début juillet 2019, comme décidé au début du projet, pour une sortie le fameux 14 octobre suivant. Seulement, les voies du planning éditorial sont impénétrables, et le livre n’était finalement pas prévu avant début 2020 chez Third Éditions. Petite déception, je ne vous le cache pas.

Peut-être était-ce là un bien pour un mal, car ce même 14 octobre 2019 est sorti un autre essai sur The Leftovers ! Écrit par Sarah Hatchuel et Pacôme Thiellement, The Leftovers, le troisième côté du miroir est paru aux éditions Playlist Society. C’est le deuxième livre sur la série à paraitre, le premier étant Humanité restante – Penser l’évènement avec la série The Leftovers, écrit par Alexia Roux et Saad Chakali, et édité par L’harmattan. Celui-ci est sorti en septembre 2018. Autant vous dire que depuis le début de mon projet de livre, où nulle littérature n’existait sur la série The Leftovers, je me retrouvais désormais avec deux ouvrages explorant le sujet ! Ces essais sont très universitaires dans leur démarche, ils abordent des pistes intéressantes, parfaitement référencées sur des domaines hyper spécifiques. Disons qu’au final, on part du même sujet, mais on ne raconte pas vraiment la même chose. Mon analyse de la série est plus « terre à terre », moins abstraite dans ses analogies. En tout cas, ça a été mon ressenti à leur lecture, vous aurez peut-être un autre avis sur la question ! Enfin, dans Les résonances de The Leftovers je parle beaucoup plus de la confection de la série, ce qui peut intéresser ou non, mais cela permet surtout de bien comprendre les intentions des scénaristes avant d’aborder le décryptage de l’œuvre.

Fin de la digression, Les résonances de The Leftovers est donc sorti quelques mois plus tard, le 13 février 2020. L’accueil a été assez positif, la communauté de Third Éditions ne connaissant pas forcément la série, ils étaient toutefois ravis de la diversité de l’offre et de l’ouverture aux séries entamée par l’éditeur avec cet ouvrage. Pour ce qui est des ventes, je n’en ai aucune idée pour le moment, mais c’est certain que l’on sera loin du succès des Dark Souls – Par-delà la mort. J’ose toutefois espérer que les fans de la série, s’ils ont été aussi touchés que moi, seront heureux de se replonger dans cette œuvre au travers du bouquin. L’idéal serait de le traduire en anglais, la série étant plus « connue » aux USA, même si on reste toujours sur un public de niche comparé à d’autres séries. Cependant, il n’existe pas encore de livre en anglais sur le sujet, et si l’on en croit les fameux tops des séries parus sur les différents sites américains, The Leftovers est toujours dans le haut du panier, souvent même en première position !

Couverture classique, montage de deux illustrations signées Rubén B. Caballero.
Couverture First Print, signée Joseph Falzon.
Fierté absolue !

Et voilà, la série d’articles Écritures est terminée ! Qui sait, peut-être qu’un jour un nouveau texte sur un nouveau livre viendra s’ajouter au reste. Dans tous les cas, ces trois expériences en tant qu’auteur ont été vraiment enrichissantes. J’espère avoir correctement retranscrit ce que j’ai vécu, sans avoir été trop barbant !

(Si vous avez des questions sur l’élaboration de cet ouvrage, n’hésitez pas à les poser dans la section des commentaires)


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