Journey, libre de vivre son expérience

13 minutes de lecture


A jeu spécial, article spécial, nous allons aujourd’hui parler de Journey. Dernière production en date du très imaginatif studio de développement thatgamecompany, cette exclusivité Playstation 3 est tout simplement extraordinaire. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : achetez-le et jouez-y. Si vous n’avez pas votre PSN sous la main, lisez donc le premier paragraphe de ce faux test. Attention, n’allez pas au-delà car la partie sous spoiler peut vraiment vous gâcher le jeu si vous ne connaissez pas. Faites une ou deux partie avant de découvrir ces quelques réflexions ! Pour ceux qui ont déjà parcouru Journey, n’hésitez pas à venir écrire et partager vos interprétations, vos expériences. Le voyage, c’est une part de découverte mais également une part de récit.

Le voyage va commencer.

 

Pourquoi acheter Journey ?

Oubliez d’emblée l’argument du prix. A peine plus cher qu’une place de cinéma (par exemple) Journey vous transportera pourtant dans des contrées bien plus lointaines que tous ce que vous pouvez imaginer. Ce jeu a quelque chose à offrir, c’est plus qu’un simple divertissement. Pour bien profiter de cette œuvre, il faut y jouer d’une traite. Aucune pause ne pourrait être tolérée pour ce jeu. Vous prenez deux ou trois heures de votre vie que vous bloquez, et vous appréciez le voyage. Avec cet état d’esprit, difficile de critiquer la courte durée de vie vu que le jeu a été pensé sur ce schéma, par ailleurs déjà instancié dans Flower, précédent titre du studio. Arguments du prix trop élevé ou de la durée de vie trop courte irrecevables !

Plus rien ne vous empêche donc de découvrir Journey, sauf si vous êtes hermétique au bonheur ou, et malheureusement il y en a, au style graphique épuré que vous avez pu apercevoir sur les quelques captures d’écran de cette page. De plus,  Journey est une expérience aussi visuelle que sonore, donc n’oubliez pas de monter un peu le volume afin de profiter des sublimes musiques. Immersion garantie.

Je n’en dirai pas plus sur le jeu, ce serait gâcher sans vergogne une découverte qui vous appartient. C’est pour cela que la suite de cet article est masquée, placée sous bonne garde des bornes Spoilers.

 

A vos risques et périls donc !

Attention, la suite de cet article contient des spoilers sur : Journey.

Journey est un jeu très particulier. Il en dit assez peu sur lui-même et arrive pourtant à être généreux, à offrir plus qu’il n’en faut. Nous allons le voir ci-dessous avec quelques interprétations assez différentes, Journey a beau être très minimaliste dans son récit et sa présentation, il emprunte énormément de codes universels liés à la mythologie et à la religion. Ceci étant, et couplé à une imagination fertile, on peut voir dans ce jeu toutes sortes de symboles ou de références. On peut évidemment aussi y apercevoir une aventure très simple où votre étrange personnage va franchir niveau onirique sur niveau onirique, rencontrer les âmes sages de la montagne et commencer son ascension vers le sommet lumineux, avant l’éternel recommencement. Différents degrés de lecture pour différents publics.

 

La rencontre

C’est d’ailleurs avec un membre de ces publics que vous allez parcourir les quelques niveaux du jeu, et cela change tout. Si Journey avait exclusivement été solo, et aussi bon soit-il, vous n’auriez pas du tout eu le même sentiment. C’est bien la personne qui vous accompagne qui façonne votre expérience. Vous n’avez pas le choix de qui, ni de comment, mais vous avez le choix de la manière dont, tous les deux, vous allez vivre l’expérience. Le plus grand regret serait de tomber sur un con, ou n’importe quel excité du pad, mais il y a un certain va et vient qui fait qu’au bout d’un moment votre partenaire sera forcément sur la même longueur d’ondes que vous. Bref, vous voila face à un parfait inconnu. La découverte de l’autre, de ses réactions et de son mode de fonctionnement vous prendra quelques temps. Un temps d’adaptation nécessaire pour le tester, l’interroger, le sonder. Vous ne pourrez communiquer avec des paroles, seulement grâce à un symbole sonore, une note de musique plus ou moins forte selon la pression sur le bouton prévu à cet effet. Oubliez les micros, les outils de chat ou les mimiques douteuses, vous êtes ici revenu au temps d’avant la construction de la Tour de Babel et seules vos actions et votre comportement parleront à votre place.

Comme je le disais plus haut, on finit par se rapprocher de cet inconnu. La proximité recharge l’écharpe qui permet de voler. La chaleur des corps sans bras de ces personnages permet de surmonter le danger du froid de la montagne. On s’abrite l’un derrière l’autre du vent, du monstre qui rode, ou tout simplement de l’inconnu. On se regarde, pétrifié de peur et de froid, avant de se lancer à découvert lorsque la gigantesque créature destructrice repart au loin. Il n’y a pas véritablement d’entraide au sens coopératif du terme, le jeu pouvant très bien être parcouru chacun de son côté, mais il y a une compréhension, un partage du moment présent peu commun dans un jeu vidéo. On se sent responsable de l’autre, même s’il est dans l’anonymat le plus total. Cet attachement créé par le jeu est tout simplement unique. A mon sens il est vraiment le point fort du titre car il conditionne aux trois quarts l’immersion et, finalement, l’expérience vécue durant les quelques heures que nous happe le jeu. Evidemment, le final n’en sera que plus puissant si vous arrivez à tisser un lien virtuel avec votre partenaire. La fin de l’ascension, cette perte d’espoir, ce froid qui entaille, cette chaleur du partenaire qui est toujours trop loin, ces quelques légers bruits diffus que sont devenues nos paroles, ces pas qui ralentissent… Cette mort, inéluctable, trop cruelle. On est aussi triste d’avoir perdu notre compagnon que notre propre vie. Puis vient la renaissance. « Je suis en vie, je vole à nouveau. Je… mais que vois-je ? Il est en vie lui aussi ! » Boulimie de symboles sonores. La joie dans son plus simple état. De réels sentiments pour cet être à la robe rouge et jaune, cet autre joueur qui vient de vivre la même rude expérience et le même ascenseur émotionnel. Un final en apothéose qui finit de rapprocher les deux personnes. C’est toutefois au générique que l’on se rend compte que cet autre n’était pas si unique que ça, et que potentiellement plusieurs joueurs se sont joints à l’épopée. C’est là la seule faute de gout de Journey, à mon humble avis, qui est de lever le voile sur l’anonymat subtilement intégré. Ce ne sont finalement que des pseudonymes alors que quelques instants auparavant ils étaient bien plus que ça !

Le désert arride du début du jeu semble bien loin…

 

Le conte

Journey est un conte. Il en tire en tout cas deux composantes essentielles, il est universel et doit être raconté, ou vécu dans le cas présent, d’une traite. On ne peut d’ailleurs pas évoquer le mythe pour qualifier ce qui est raconté dans ce jeu. L’histoire se déroule après le déluge de sable, après l’apocalypse, et ce n’est finalement qu’un pèlerinage parmi tant d’autres dans un monde déjà dévasté. C’est l’épopée du joueur, semblable à des centaines d’autres, et non d’un personnage qui a une importance dans le mythe. Poétique, allégorique mais pas mythique.  Il pourrait pourtant être apparenté au mythe de Sisyphe, qui lui est un vrai personnage mythologique, condamné à pousser quotidiennement un rocher au sommet d’une montagne, avant que celui-ci ne retombe inéluctablement au pied du mont, l’obligeant à recommencer son dur labeur. Au passage, le rocher est en réalité le disque solaire, et Journey fait plus que référence à ce mythe à la toute fin du jeu, lorsque le soleil se lève en même temps que l’on se rend compte de l’on renait afin de gravir à nouveau la montagne. Cette torture éternelle est une punition de Zeus, condamnant Sysiphe pour avoir divulgué un de ses secrets de fesse. Les Dieux sont si irritables… Et voila Sysiphe en Enfer. Cependant, même si Journey présente cet éternel recommencement, cette ascension difficile de la montagne, il n’est que trop loin des horreurs de l’Enfer. Le monde est merveilleux, rien n’oblige le joueur à grimper si ce n’est la curiosité du joueur. L’apparition, plus tard, d’un autre être à robe rouge, une autre personne qui pourrait elle aussi se sentir obligée de commencer un pèlerinage, vous forcera peut être à entamer l’ascension du mont. Vous pouvez tout aussi bien explorer les dunes de sables à perte de vue, découvrir les ruines de votre ancienne civilisation, ou tout simplement vous asseoir et méditer. La dimension spirituelle est d’ailleurs ce qui m’a le plus frappé dans ce jeu, et c’est ce que nous allons maintenant aborder : Journey tire ses influences de deux religions comportant de nombreux points communs, le bouddhisme et le jaïnisme.

 

La spiritualité

Plus qu’un simple voyage onirique, on peut voir dans Journey une grande aventure spirituelle. L’ascension de l’esprit, représenté par la montagne et ses guides vêtus de robes blanches. Plusieurs indices, plus ou moins farfelus comme vous allez le voir, pourrait nous orienter vers ces influences :

La quête

Tout dans Journey appelle à la méditation et au zen. Le calme ambiant du début du jeu, le style épuré et aérien, les couleurs chaudes protectrices. Puis viennent les obstacles, les couleurs froides, les environnements sombres et peu accueillants, le danger du monstre qui rode, bref les problèmes de la vie à surmonter. L’ascension de cette montagne spirituelle, à la recherche du sens de la vie, est rude et dangereuse. A bout de force, vous finirez par vous éteindre non loin du sommet. Si proche du but, et pourtant maintenant si loin. La lumière divine était à portée de main, mais vous êtes mort avant de comprendre.

Le Nirvana

C’est à ce moment qu’intervient un accomplissement clé des religions comme le bouddhisme : l’atteinte du Nirvana. La libération. L’éveil. Le Moksha pour les pratiquants du jaïnisme. En gros cela est représenté dans Journey par le final époustouflant auquel on assiste après la mort et la résurrection, ou second souffle, de l’âme de notre personnage. Cette apothéose inconditionnelle est l’élévation de l’esprit, la prise de conscience ultime qui vous prend à la gorge. Un enchainement de bonheur, de joie, de relâchement, qui vous mènera au plus proche de cette lumière divine que l’on aperçoit depuis le début. Vous allez presque la toucher. Presque, avant de continuer ce cycle interminable de la renaissance. Non, vous n’avez pas atteint le Nirvana. Try again.

La renaissance

La renaissance vous fait tout recommencer depuis le début. Vous n’étiez pas loin mais ce ne sera pas pour cette fois-ci. Le cycle de la vie recommence comme si rien ne s’était passé. Mais au contraire, vous, joueur et cobaye de l’expérience, savez ce qu’il s’est passé. Vous avez eu cette merveilleuse vision qui irrigue une foi ravivée, et ce malgré les obstacles de la vie rencontrés quelques temps auparavant. Le Samsara, la roue de la vie vous a rattrapé.

Jaïnisme

Tous ces concepts sont bien beaux et très bouddhistes dans l’âme, mais pourquoi avoir mentionné à plusieurs reprises la religion du jaïnisme ? La réponse est simple, en plus d’avoir des bases communes, le jaïnisme met surtout en avant la vertu de non-violence (Ahimsa). Les personnages que l’on incarne dans Journey sont absolument incapables d’être violents. Déjà ils n’ont pas de bras. C’est con à admettre mais il est du coup impossible de faire des mimiques agressives ou des gestes violents. Il est uniquement possible d’aider son prochain, en rechargeant son écharpe magique entre autres. Comme aucun des deux personnages de l’aventure n’est violent, on peut seulement s’attacher à l’autre et essayer au mieux de le protéger, le soutenir dans sa quête spirituelle. La devise du jaïnisme pourrait être traduite par « les âmes rendent service à d’autres » ou « Toutes les vies sont interdépendantes et se doivent un mutuel respect, une mutuelle assistance ». Le message est clair, non ?

Le souci du détail

Pour peaufiner l’idée, quelques détails que l’on pourrait remarquer et qui renforce cette idée des influences bouddhistes ou jaïns dans Journey :

  • Les moines bouddhistes portent souvent un habit rouge et jaune. Or cela ressemble à s’y méprendre aux vêtements du personnage de Journey. Ces codes couleurs sont-ils une coïncidence ?
  • En appuyant sur le bouton Select, notre bonhomme s’assoie en tailleur et commence ce que l’on pourrait croire être un instant de méditation. Difficile de nier l’influence du zen sur ce geste, d’ailleurs absolument inutile au niveau du gameplay. C’est même la seule mimique du jeu, totalement universelle.
  • Afin de communiquer, chaque joueur se voit attribuer un signe. Il peut le « chanter » en rythme et le clamer fort en pressant plus longtemps la touche. Cette unique manière de s’exprimer oralement pourrait être intimement liée aux Mantras, à l’image du fameux Om.
Un Mantra particulier est attribué à chaque personnage.

 

Le détail qui tue

Plus farfelu, mais j’aime bien terminer un texte sérieux sur un ton plus léger, il existe une montagne sacrée pour les religions abordées lors de ces quelques lignes : le mont Kailash. Vous pouvez d’ailleurs lire cet excellent article sur le sujet. Bref, cela pourrait bien être notre montagne : le but ultime de Journey. A priori la même forme, le même intérêt religieux et la même difficulté pour y effectuer un pèlerinage aussi visuellement magnifique que spirituellement important dans la vie d’un croyant. J’ai par ailleurs remarqué un détail amusant sur une vision satellite de cette montagne : il existe un lac, au Sud du mont, qui me rappelle une forme connue. Pas vous ?

Et, non, je ne suis pas sérieux.

 

Comme mentionné plus haut, Journey affiche des concepts forts et, surtout, universels. De ce fait, chacun y verra des significations différentes et un style particulier. Les idées écrites ici  ne sont que suppositions. Ce ne sont que des étincelles d’informations qui m’ont fait penser à un tas de choses. J’espère que vous aussi, vous avez vu dans ce jeu vidéo OVNI, unique et original, des concepts qui vous parlent ou des symboles qui vous inspirent. Si c’est le cas, n’hésitez pas à le partager !

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8 réponses à “Journey, libre de vivre son expérience”

  1. Je me suis forcé à ne pas lire la partie cachée… Je n’ai pas de PS3, du coup j’hésite à attendre un éventuel portage sur PC.
    Mais en tout cas de ce que j’ai appris sur ce jeu, c’est vraiment une expérience différente et ça m’attire. Un OVNI solitaire… j’espère pouvoir y jouer

  2. Super article! D’une manière plus général superbe site! Je l’ai découvert récemment grâce a l’article sur la mythologie de darksouls et je compte bien lire toutes les chroniques.

    Pour moi Journey c’est avant tout une rencontre, avec un(e) inconnu(e). On partage un voyage sans un mot, et pourtant un contact se crée, une émotion. Je trouve que l’idée de ne jamais savoir qui c’était est assez sympa. Dommage que ce soit terni par le générique de fin, qui vient « salir » tout ça en révélant que ton compagnon de voyage a changé en cours de route!
    En tout cas c’est un jeu très poétique pour peu qu’on ait un minimum de fibre sensible.

    • Salut Zeedoc81 !
      Merci pour ton retour sur cet article (et le site plus globalement), et j’espère que quelques autres chroniques auront également capté ton attention 🙂
      N’hésite pas à partager l’information autour de toi !

  3. Je n’y ai jamais joué personnellement, mais j’ai « regardé jouer », écoute volontiers la B.O. dans ma playlist spéciale dodo, et me suis visionné un walkthrough à l’instant. Définitivement un incontournable du paysage vidéoludique de ce XXIème siècle !

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