Virginia – cinéma, jeux vidéo, café et spoilers

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Attention cher lecteur, ce papier t’est destiné si tu as déjà terminé le jeu Virginia. Si ce n’est pas le cas, prends tes dix euros et va les dépenser efficacement dans l’achat de cette excellente séance vidéoludique (cinématoludique ?). Ce n’est ni long, ni pénible, tu vas adorer. Puis reviens ensuite ici pour partager ton ressenti.

Le reste de l’article n’est que spoilers, et crois-moi, moins tu en sais sur Virginia avant de le commencer, mieux tu en apprécieras le charme.

Bienvenue dans l'état de Virginie !
Bienvenue dans l’Etat de Virginie !

Dix euros. Moins onéreux qu’une place de cinéma, pour mettre la main sur un jeu vidéo qui emprunte pourtant énormément au 7e Art. Cependant, Virginia n’est pas un film, mais une expérience interactive que seul un jeu vidéo peut proposer. Le titre de 505 Games se sert à la fois de certains codes du cinéma, et d’autres, du jeu vidéo. Le résultat perturbe assez, autant pour le cinéphile que le joueur. Ainsi, les ellipses viennent se mêler à une caméra (quasi) libre en vue FPS. Par exemple, alors que l’on observe un dossier du FBI – notre prochaine mission – la scène change subitement. Nouveau décor, nouveau contexte, nous voici maintenant dans une voiture, roulant au beau milieu de la campagne. On aurait aimé avoir le temps de lire le fameux dossier, voir de quoi il en retournait précisément. Peu importe, on assiste déjà à la scène suivante. Comme un film, Virginia multiplie les coupures, faisant subir au joueur un montage sec et souvent inattendu, malmenant son confort ordinaire d’observateur, sur lequel le temps ne parait habituellement pas avoir d’incidence. Ici, le rythme est donné par le jeu. Par sa musique aussi, quasi omniprésente (et de très bonne facture), qui s’adapte au comportement du joueur, ou au contraire le bouscule s’il reste trop passif. Celui-ci doit alors prendre ses marques durant le temps imposé, tout en relevant assez d’informations sur son environnement – caméra et déplacements restent libres la plupart du temps- pour essayer de comprendre les différentes situations.

Pour cela, l’exercice se voit facilité par un design minimaliste. Que ce soit dans le gameplay, un seul bouton d’interaction, ou la narration, aucun dialogue, aucun choix, tout se joue sur le visuel et le son, Virginia impose la simplicité afin de ne pas gêner le joueur dans sa découverte et son expérience. De fait, il peut alors s’immerger dans l’histoire, qui propose quant à elle son lot de surprises et de questionnements.

La référence au cinéma de David Lynch est évidente, le jeu a de toute manière été vendu en mettant en avant cet argument, et beaucoup d’autres articles en parlent déjà. Effectivement, on retrouve bien l’aspect puzzle à résoudre, dont les pièces sont les indices narratifs laissés au compte-goutte tout au long des chapitres. On retrouve alors des symboles récurrents (la clé cassée, l’oiseau rouge, le pendentif), des scènes hallucinées (les rêves du joueur) et une routine très cinématographique (les trajets en voitures, le café du matin), que le joueur devra vivre et décrypter, afin de comprendre le message des auteurs.

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Le jeu met en avant deux enquêtrices du FBI. Toutes deux sont sur une affaire, et cherchent un garçon disparu. Le joueur, qui incarne l’une d’entre elle, Anne, mène en réalité une enquête en interne sur sa partenaire. Une situation délicate – et elle ne manquera pas de déraper – qui n’est finalement qu’un prétexte au véritable fond de l’histoire. En effet, cette histoire n’est pas moins une enquête du FBI, qu’une tribune singulière pour évoquer l’être humain, ses secrets, ses espoirs ou ses croyances. D’ailleurs, la disparition du gamin se règle en une demi-seconde à la toute fin du jeu, sur le dernier plan, lorsque les deux agents croisent le garçon sur la route, à pied, quittant sa ville natale. Le bougre avait tout simplement fugué. La scène est tellement rapide (la voiture des agents ne fait que le croiser), naturelle, presque sans intérêt, que toute cette affaire en devient tout à fait secondaire.

En revanche, les autres sujets abordés se montrent intéressants.

Il faut dire que les deux fins sont impressionnantes. Deux fins auxquelles nous sommes obligés d’assister, soit dit au passage, ce qui n’est pas commun dans le monde du jeu vidéo. Le choix de game design, de ne pas proposer de choix (justement) au joueur, est plutôt malin. De cette manière, ce dernier voit directement les deux conclusions, l’une après l’autre, et n’est pas obligé de refaire le jeu. Certes, la rejouabilité devient alors inexistante, mais les créateurs gardent le minimalisme souhaité, et ne cèdent pas à la complexité inutile (concrètement, en quoi c’est intéressant de refaire un jeu pour sélectionner « choix 2 » à la fin ?). A mon sens, ce parti pris présente un grand intérêt. De plus, chacune des fins, jouée sur une musique fantastique, amène son lot de pièces manquante pour compléter le fameux puzzle narratif.

Première fin : vous écrivez un rapport sur votre partenaire, stoppant ainsi net l’affaire du garçon disparu. Vous êtes promu, puis écrivez des rapports internes sur à peu près tous les agents que vous serez amené à croiser durant votre carrière. Cette vie se déroule devant les yeux du joueur, vos yeux, assistant alors à votre montée dans les niveaux de direction, jusqu’à prendre la place du big boss, celui-là même qui serra votre main au début du jeu. Maintenant, c’est vous qui serrez la main aux nouveaux venus du FBI. Votre carrière à atteint le sommet, peu de gens peuvent en dire autant.

Seconde fin : vous n’écrivez pas de rapport, mais essayez de résoudre l’affaire du gamin avec votre partenaire. Pour cela, vous prendrez de la drogue (sic ?) et enclencherez la deuxième fin, des plus fascinantes. Au travers de masques (à la fois symbole de la présence du joueur, mais aussi de la vie personnelle de chacun), vous vivrez des scénettes aux côtés des différents personnages liés à l’enquête. De l’homme politique désœuvré, au chef du FBI esseulé, en passant par le jeune militaire qui vient présenter son nouveau-né à son père, lui aussi militaire (un thème important tout au long du jeu, puisque les deux agents du FBI sont également filles de militaire) et malheureusement porté sur l’alcool, vous découvrirez les secrets de chacun. L’intimité, au cœur de ces personnages que l’on croise et recroise tout au long du récit, se dévoile dans cette scène finale éprouvante. Le dernier masque concernera évidemment le protagoniste principal, Anne, avec l’explication de la fameuse clé cassée. Une clé qui ouvrait autrefois une boite de son défunt père, mais dont le contenu restera inconnu, avant d’être mis au feu. Un choix narratif osé, et, en même temps, cette part de mystère n’a que peu d’importance. La clé (cassée) est la clé du récit. C’est le souvenir de son paternel, avant celui de ses secrets. Parfois, cela fait aussi du bien de ne pas connaitre toutes les cachotteries des êtres qui nous sont chers. Personne n’est parfait, et Virginia nous le montre admirablement bien.

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Le dernier masque se fracasse alors au sol, scindant le lien entre le joueur et Anne, et marquant ainsi la fin du jeu. C’était sans compter la scène suivante, soit l’apparition des extraterrestres. Un passage obligé du genre « mystère mystérieux », qui terminera ce trip sous drogue, expliquant alors la disparition du gamin comme le ferait n’importe quel amateur de complot. Aussi audacieux qu’inutile, il s’agit là à la fois d’autodérision (les auteurs assument leur histoire cryptique, sans queue ni tête), que d’un clin d’œil final à X-Files, une œuvre qui les aura décidemment inspirés d’un bout à l’autre (peut-être même plus que Twin Peaks, à mon avis). De toute manière, dans le plan qui suit, nous comprenons vite que le garçon recherché a simplement fugué, comme nous l’avons déjà vu plus haut. Bref, ce final est un savant mélange de genres et d’idées, pleine de symbole et de signification. L’écriture est généreuse, ouverte, toujours sans dialogue faut-il le rappeler, donc uniquement basée sur le visuel et la musique (et autres bruitages, évidemment). Certes, on ne peut pas tout comprendre au premier abord, ni même au second, avouons-le, mais pourtant, on peut comprendre et voir dans Virginia, une quantité impressionnante d’idées et de thèmes plus ou moins personnels. En tout cas, pour moi, cette expérience sensorielle a fait mouche. Certainement l’un des meilleurs jeux du genre (avec Firewatch dernièrement). Un des plus risqués aussi. Quand on y pense, son design minimaliste rebutera la plupart des joueurs. C’est presque un film. Presque. Sauf que les interactions, qui caractérisent ce média du jeu vidéo, aussi maigres soient-elles, n’auront jamais été aussi importantes pour expérimenter ce que propose Virginia !

 

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3 réponses à “Virginia – cinéma, jeux vidéo, café et spoilers”

  1. Bonjour,
    Je viens de découvrir ton site en cherchant Virginia. J’ai terminé le jeu et j’ai été conquis par l’expérience. Effectivement il partage des points communs avec Firewatch, que j’avais beaucoup aimé également, le design graphique naif, l’aspect dialogues en moins, mais la manière dont le joueur est immergé dans l’histoire est identique.
    Dans le même genre, il y a également « Gone Home ».

  2. J’étais à la recherche de réponse concernant tout ce que j’ai pu voir dans Virginia.
    Beaucoup de symbolique, entre la secte, le christianisme, le bison, les masques, la clef, l’oiseau rouge et j’en passe.
    Beaucoup d’idées qui n’auront jamais leurs véritables natures révélés.
    Néanmoins, j’ai adoré vivre dans ce jeu et cette ambiance à la fois douce, étrange et déconcertante.
    Point d’honneur à la scène du Relais Routier qui est d’une rare beauté sonore et visuelle. Cette musique à elle seule raconte et résume parfaitement le jeu.

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