Death Stranding

10 minutes de lecture


Sans aucun doute, Death Stranding aura été ma claque 2020. Un an après tout le monde certes, mais une sacrée claque tout de même ! Les péripéties de Sam Porter Bridges m’ont transporté là où peu d’autres jeux ont tenté un pari aussi osé et atypique. Accomplir des « quêtes Fedex » pendant 50h ? Sérieusement ? Difficile de faire moins vendeur, mais Death Stranding assume totalement son concept, répété ad nauseam du début à la fin. Les seules variations se manifestent par l’évolution des outils mis à disposition de Sam, mais pour le reste, on fait des livraisons, seul, dans des déserts à perte de vue. J’ai toujours été fasciné par les paysages désertiques, par leur variété notamment, que ce soit les déserts de sable, de cailloux ou de glace, mais aussi par leur côté à la fois naturellement hostile et d’un calme absolu. Un sentiment que Death Stranding effleure régulièrement dans sa proposition (les paysages sont saisissants), mais il introduit aussi bon nombre de séquences d’infiltrations, face à des groupes d’humains ou d’Échoués, dont le côté « mécanique », vraiment typique du jeu vidéo, nous ramène souvent (trop à mon sens) à notre manette, derrière notre écran. Le voyage se voit ainsi un peu haché par ces séquences, notamment vers le tiers du jeu, que j’ai trouvé un peu longuet. Pour le reste, comme je le disais plus haut, c’est la claque de l’année !

Death Stranding est un jeu qui se prête aisément à l’exercice du décryptage. Tout y est vraiment généreux, aux propos souvent universels, et chacun peut y voir ses propres analogies, des facettes qui lui parlent intimement ou des sujets plus obscurs qui poussent à être creusés. Plus d’un an après sa sortie, on trouve quantité d’analyses diverses et variées, sur l’histoire bien entendu, mais aussi la musique et bien d’autres aspects. Loin de moi l’idée de proposer ici une analyse complète de Death Stranding, je souhaitais toutefois apporter ma pierre l’édifice, à l’image du multijoueur asynchrone du jeu où chacun contribue à l’amélioration des structures de transport !

Attention, la suite de cet article contient des spoilers sur Death Stranding. Il est ainsi conseillé d’avoir terminé le jeu avant de continuer la lecture.

A vrai dire, durant toutes ces heures passées avec Sam, deux choses revenaient régulièrement dans mon esprit, deux analogies importantes pour moi. La première concerne la narration, que j’ai la plupart du temps comparée aux techniques singulières de Damon Lindelof, connu pour les séries télévisées Lost, The Leftovers et plus récemment Watchmen. La seconde va chercher du côté de la littérature, avec quelques sensations directement tirées du roman La Horde du Contrevent d’Alain Damasio. Comparaisons étranges peut-être, mais laissez-moi quelques instants pour étayer tout ça.

Mais qu’est ce qu’il raconte ? Hideo Kojima serait le Damon Lindelof du jeu vidéo ? Et bien pas vraiment en fait ! Chacun possède sa propre fibre artistique, de toute manière adaptée au média auquel il participe, Kojima accordant une grande place au game design par exemple, mais j’ai tout de même observé quelques appétences sur la narration, que les deux auteurs partagent, et aiment mettre en avant. Le côté absurde et « what the fuck » (désolé, je n’ai pas trouvé de terme plus adapté !) serait le point commun le plus évident. Cela concerne surtout le prologue de Death Stranding, où durant deux heures, des concepts assez hallucinants se mettent en place sous nos yeux – ébahis ! -, avec les Échoués, les BB, l’énigmatique Fragile, la pluie qui accélère le temps, les baleines qui volent, les marques sur le corps de Sam, et tout un tas d’autres détails qui resteront inexpliqués un moment, mais qui alimentent ce microcosme étrange et fascinant. Chez Damon Lindelof, le prologue (d’un épisode ou même d’une saison) utilise régulièrement ce genre d’artifices narratifs. Partant d’un point de vue totalement annexe au propos, parfois extraordinaire, il parvient toutefois à introduire son idée en quelques minutes, ajoutant au passage quantité d’éléments a priori mineurs, qui auront du sens plus tard dans l’épisode, voire la saison, ou même l’entièreté de la série. Le « mais qu’est ce qu’il raconte ? » revient régulièrement quand on regarde ses séries, tout comme quand on regarde le début de Death Stranding (on ne joue en effet pas beaucoup durant le prologue), mais le mystère crée aussi de l’intérêt, et cette manière singulière de l’amener apporte du rythme à la narration. On a toujours envie d’en savoir plus !

Dans Watchmen, Jeremy Irons campe un personnage loufoque, longtemps sans lien apparent avec le reste de la série. Un peu comme Mads Mikkelsen dans Death Stranding !

Le souci du détail apparait vraiment important pour Kojima et Lindelof, avec, souvent, un bon mélange entre portée symbolique ou philosophique, et explications scientifiques. Par exemple, dans Death Stranding on se retrouve à lire des textes (dans les emails ou les entretiens) sur, entres autres, le sens de la vie, les hommes préhistoriques, l’hormone de l’ocytocine, ou encore la mythologie égyptienne. Voilà d’ailleurs des sujets qui résonnent si vous connaissez les productions de Lindelof ! La diversité des idées est impressionnante, et elles sont toujours bien référencées, parfois alambiquées, mais jamais hors sujet : elles enrichissent le propos et ouvrent à la réflexion, et pourquoi pas à des recherches plus personnelles, hors de l’œuvre.

Autre similarité entre les deux auteurs, la mise en avant des personnages, à mon sens davantage marquée chez Lindelof, qui n’hésite pas à carrément changer de point de vue le temps d’un épisode, pour creuser un personnage en particulier. Death Stranding propose également de belles séquences avec ses protagonistes. Je pense à Fragile, à Mama, à Heartman, qui ont chacun leur « moment », avec une intimité assez rare dans le jeu vidéo, surtout dans une production à gros budget comme celle-ci. L’intention est ici évidente, les chapitres du jeu portant directement le nom des personnages sur lesquels ils sont centrés. Je trouve par ailleurs que ces « moments » dédiés aux personnages de Death Stranding se montrent plus intéressants que l’histoire principale. Les rebondissements font le boulot, mais au final, ce que je retiens, c’est plutôt Mama qui coupe le cordon, ou Heartman qui raconte son histoire, entrecoupé par son cœur qui lâche toutes les 21 minutes. De toute manière, le message même du jeu est basé sur ces personnages principaux ou secondaires, et sur leurs liens, avec Sam en élément central. Néanmoins, et bien qu’excellent, le final du jeu délaisse un peu les autres personnages pour se concentrer – justement – sur Sam, mais aussi sur l’explication générale des mystères qui entourent ce monde étrange.

Ce monde post-apocalyptique, désert, hostile, m’a aussi rappelé celui de La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, comme je l’indiquais en introduction de cet article. Encore frais dans mon esprit – j’en ai terminé la lecture l’été dernier, à bout de souffle – j’ai retrouvé dans Death Stranding quelques sensations proches de cet ouvrage fascinant. Même si la solitude de Sam ne pourrait être comparée à cet esprit de groupe incandescent alimenté par la Horde, le parcours et l’isolement subits par les deux entités restent finalement assez similaires. L’un traverse les États-Unis de l’extrémité Est à l’extrémité Ouest, tandis que les autres partent de l’Ouest (l’Aval) pour essayer d’atteindre l’Est (Extrême-Amont). Aller d’un point A à un point B, dans un environnement toujours plus dangereux et plus compliqué à traverser. Les villages – des points de chutes qui défilent – sont les seuls endroits qui permettent à Sam et à la Horde de rencontrer des gens et de se reposer de leur périple. Si les vents violents de La Horde du Contrevent n’existent pas dans Death Stranding, ces phases ponctuelles de danger extrême prennent la forme de multitudes d’Échoués, ou de brigands (les Mules). L’environnement naturel reste toutefois le plus compliqué à surmonter. On peut attendre que le vent faiblisse, on peut s’extirper des zones d’Échoués ou de Mules, mais les falaises et sentiers impraticables restent là, indéfiniment. Il faut les surmonter.

Voici un artwork de Windwalkers, adaptation vidéoludique de La Horde du Contrevent, dont le Kickstarter n’avait pas réussi à trouver un financement suffisant en 2015.

Dans Death Stranding, Sam est seul face à ces obstacles naturels. Les missions qui l’emmènent pour la première fois vers de nouveaux endroits ne bénéficient pas de l’aide asynchrone des autres joueurs. Je vais notamment prendre comme exemple l’ascension de la montagne enneigée vers le milieu du jeu, car elle est, à mon sens, le point d’orgue du jeu. J’en ai vraiment bavé aux côté de Sam. Non pas que ce soit difficile comme un Super Meat Boy ou exigeant en terme de gameplay, mais c’est long, et il faut rester concentré sinon on trébuche, on tombe, on abime les marchandises, on perd son orientation, on marche dans la mauvaise direction, on revient, on escalade avec précaution, ça ne passe pas, on revient, on grimpe, on descend, on ne sait plus où est, on ouvre sa carte, on reprend le cap, on galère, vraiment, on galère, avec les Échoués, sans les Échoués, puis on arrive presque à destination. Du sommet dégagé, on s’arrête quelques instants, face à un panorama extraordinaire, ciselé à l’infini, à 360°. La destination de la livraison est juste à quelques dizaines de mètres, en contrebas. Ce sentiment est incroyable, et j’espère que tous les joueurs de Death Stranding l’ont ressenti à un moment ou un autre. Et bien toute cette partie « ascension », ça m’a vraiment fait penser à certains passages de La Horde du Contrevent. Sans spoiler le roman évidemment – lisez le en revanche -, je parle ici de pur ressenti, entre difficulté physique, environnement impossible à maitriser et sensation inouïe d’isolement.

Au travers de ces deux comparaisons, sans doute un peu alambiquées de prime abord mais évidentes pour moi, on constate à quel point Death Stranding peut être marquant, autant par sa narration, osée et surprenante, parfois intime, que son gameplay sans aucune concession, répétitif sans être ennuyant. Le jeu n’est pas parfait non plus, j’en parlais dans l’introduction, mais tout y est assumé, je n’y ai pas trouvé de notes en désaccord avec, je pense, la vision qu’avait Kojima pour son jeu. Et ça, je pense que c’est une étape importante dans le monde du jeu vidéo. Accorder un large budget pour le développement d’un « jeu d’auteur », en tout cas aussi atypique, et que celui-ci soit rentable, ça me parait être une première. Je suis pour le coup très curieux de la suite des évènements, que ce soit du côté du studio de Kojima, et plus globalement de l’industrie du jeu vidéo « blockbuster ».

,

2 réponses à “Death Stranding”

  1. Merci pour l’article!! Je l’ai fait aussi en 2020 et cela fût une sacrée claque. Il m’a beaucoup fait penser au premier mass effect, avec ces quêtes Fedex sur des planètes vides mais qui pour moi étaient de formidables moments de contemplation que je n’avais pas retrouvé dans un jeu, jusqu’à l’arrivée de Death Stranding.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *